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La Sotise a huit personnaiges, composée à Toulouse vers 1507, est une pièce essentielle pour saisir le jeu complexe du pouvoir et la culture à l’époque préparatoire de l’absolutisme. Véritable somme de la production dramatique du début du XVIe siècle, la Sotise se munit des armes de la folie et de la satire pour défendre les privilèges de l’Eglise gallicane aux dépens des représentants du pouvoir, y compris Louis XII et son ministre, le cardinal d’Amboise. Nonobstant sa virulence, elle parvient à se faire imprimer à Paris, assortie d’autres textes de propagande, à la faveur du conflit qui oppose le roi et Jules II.
Amendant l’édition qu’en procura l’éminent philologue Emile Picot, Olga A. Duhl en donne une nouvelle, fondée sur le seul imprimé connu (BnF Rés. Yf 2934), qu’elle complète d’un apparat critique substantiel, d’une introduction historique, littéraire et linguistique, d’un glossaire analytique, d’un index des noms propres et d’une bibliographie complète. Elle formule une hypothèse inédite concernant la question, toujours d’actualité, du " genre " et de la paternité littéraire de la Sotise : voilà une adaptation où s’entremêlent sottie, moralité, farce et mystère, ainsi qu’une riche palette de formes poétiques, qui a dû bénéficier de la contribution d’un poète-basochien toulousain, tel que Blaise d’Auriol, et non pas une sottie parisienne composée par le rhétoriqueur André de La Vigne, comme le postulait Picot. Représentant de l’idéologie conservatrice de l’Université, Blaise d’Auriol fut aussi lauréat des Jeux floraux, dont la Sotise constitue précisément une variante parodique. Mais c’est surtout par la mise en scène d’un Nouveau Monde que s’impose la Sotise, assumant le statut d’une utopie politique qui présage celles de la Renaissance.
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L’auteur de ce livre s’est attaché à aborder la sottie, genre dramatique cultivé grosso modo entre 1450 et 1550, à la lumière des principes de l’épistémologie scolastique, de la seconde rhétorique et des théories du théâtre médiéval. Que la sottie illustre, en confiant sa voix à la folie, le glissement de la conception médiévale de la folie comme vice, emblématisée dans la Nef des fous de Brant, vers la folie comme composante de la sagesse, attitude qui s’impose à la Renaissance, dans l’Éloge de la Folie d’Érasme par exemple, est ici mis en rapport avec la résurgence du débat qui met aux prises les postulats de Thomas d’Aquin et de Guillaume d’Ockham concernant, respectivement, la connaissance rationnelle et la connaissance intuitive. Une telle dialectique permet la mise en œuvre d’une rhétorique à double détente qui communique des messages politiques sous le voile de l’enseignement moral. Le masque uniformisant de la folie ne saurait suffire pour faire fonctionner ce jeu rhétorique sans l’appui de l’action dramatique (au sens aristotélicien du terme), que la sottie parvient ainsi à renouveler.